La faute dolosive de l’assuré existe toujours !


Civ. 2ème 19 septembre 2024, n° 22-19.698 (publié)  

Une fois n’est pas coutume, la Cour de cassation vient de rendre un arrêt particulièrement important pour les assureurs et a validé la motivation de la Cour d’appel présentée par PBA Legal avec les avocats aux Conseil de la SCP Gatineau Fattacini Rebeyrol.

Les faits impliquaient une longue procédure pénale. Un appel en garantie était formé contre notre client assureur par le liquidateur de l’assuré qui avait dû retirer de la vente les steaks hachés qu’il avait fabriqués à destination de grandes surfaces de discount alimentaire en raison d’une alerte sanitaire à un germe particulièrement virulent de la bactérie E-Coli. Le gérant de la société assurée a été condamné pénalement pour diverses infractions volontaires tenant à la libération de denrées alimentaires qu’il savait corrompues par cette bactérie et a été reconnu responsable des préjudices subis par les parties civiles.

Le liquidateur du fabricant a assigné son assureur en exécution de ses garanties de Responsabilité civile Produits livrés et en paiement de diverses sommes au titre des garanties Frais de retrait et Défense pénale et recours. La Cour d’appel de Dijon (31 mai 2022, n° 21/00015, téléchargeable ici) avait débouté le liquidateur de toutes ses demandes en caractérisant notamment une faute dolosive de l’assuré.

Devant la Cour de cassation, s’agissant des garanties de responsabilité civile, le liquidateur se prévalait, tout d’abord, d’une action préventive à l’encontre de l’assureur et entendait voir l’assureur condamné à garantir la société assurée de toute condamnation susceptible d’être prononcée à son encontre au titre de ladite crise sanitaire. Il considérait que l’assuré avait un intérêt actuel et certain à agir contre son assureur, dès lors que le dirigeant de ce dernier avait été définitivement déclaré coupable de diverses infractions pénales et jugé responsable du préjudice subi par les parties civiles.

Cette position est fort logiquement rejetée par la Cour de cassation qui rappelle, comme nous l’y invitions, que le liquidateur ne démontrait pas que la société avait indemnisé les victimes.

En effet, l’article L. 124-1 du Code des assurances dispose que l'assureur n'est tenu que si, à la suite du fait dommageable prévu au contrat, une réclamation amiable ou judiciaire est faite à l'assuré par le tiers lésé et l’article L. 124-3 du même Code ajoute que l’assureur ne peut payer à un autre que le tiers lésé tout ou partie de la somme due par lui, tant que ce tiers n'a pas été désintéressé.

Les garanties de l’assureur RC ne sont ainsi potentiellement mobilisables que si une réclamation est formée contre l’assuré et l’assureur ne peut verser une quelconque indemnité à son assuré directement que si ce dernier démontre avoir indemnisé un tiers en raison d’une dette de responsabilité de sa part.

A défaut, l’assuré n’avait pas d’intérêt à agir contre son assureur RC et ses demandes n’étaient donc pas recevables. 

Ce rappel ferme des principes ne peut qu’être salué car les tentatives d’actions préventives des assurés ne sont pas rares en pratique.

Par ailleurs, le liquidateur contestait la motivation de la Cour d’appel en ce qu’elle avait retenu une faute dolosive de la société assurée, prise en la personne de son gérant, et ainsi exclu la garantie de l’assureur, en exécution des dispositions de l’article L. 113-1 du Code des assurances. Le liquidateur soutenait que la Cour d’appel ne caractérisait ni le caractère inéluctable du dommage ni la conscience que l’assuré aurait eue de ce caractère inéluctable alors que le gérant de l’assuré n’avait pas recherché les conséquences dommageables qui en ont découlé pour les victimes. 

Le liquidateur tentait ainsi d’entretenir une confusion entre la faute intentionnelle (celle qui suppose la volonté de causer le dommage) et la faute dolosive alors que la Cour de cassation distingue désormais clairement les deux notions (Civ. 2ème 28 février 2013, 12-12.813).

Sur ce point, la Cour de cassation a souligné qu’il importait peu que le gérant de l’assuré n’ait pas recherché les conséquences qui en ont découlé pour les consommateurs. En effet, la faute intentionnelle de l’assuré n’était pas alléguée en l’espèce.

Le liquidateur tentait surtout d’obtenir un arrêt de cassation pour défaut de base légale comme il y en a eu plusieurs ces dernières années sur cette problématique. En effet, la Cour de cassation est venue fixer (pour l’instant…) la définition de la faute dolosive de l’assuré exclusive de garantie qui « s’entend d’un acte délibéré de l’assuré commis avec la conscience du caractère inéluctable de ses conséquences dommageables, qui ne se confond pas avec la conscience du risque d’occasionner le dommage » et casse régulièrement les arrêts d’appel qui ne caractérisent pas suffisamment ces conditions selon elle (Civ. 2e, 10 nov. 2021, n° 19-12.659 ; 10 nov. 2021, n° 19-12.660 ; 20 janv. 2022, n° 20-13.245 ; 25 janv. 2024, n° 21-17.365 ; 14 mars 2024, n° 22-18.426). La Cour de cassation opère ainsi un contrôle très strict de la faute dolosive de l’assuré qui exclut les garanties de l’assureur. 

Cette litanie d’arrêts induisait certains à considérer que la faute dolosive de l’assuré était vouée au même sort que la faute intentionnelle, à savoir la quasi-disparition, alors que la distinction des deux notions visait précisément à faire revivre la faute dolosive dans des hypothèses où l’assuré n’a pas voulu le dommage.

En l’espèce, la Cour d’appel avait expressément relevé que :

  • le gérant de l’assuré était un professionnel de la filière bovine qui était à l’origine de l’allégement volontaire des contrôles
  • les risques de contamination étaient pourtant majeurs dans le secteur,
  • une précédente crise sanitaire similaire était survenue en 2005,
  • les services sanitaires avaient appelé la société à une vigilance particulière par un courrier spécifique
  • les juridictions pénales avaient déduit de ces circonstances que le gérant de l’assuré avait violé de manière manifestement délibérée son obligation de prudence et de sécurité en mettant sciemment sur le marché des mêlées de viande qu’il savait potentiellement contaminées.

La Cour de cassation juge que ces motifs caractérisent une faute dolosive de l’assuré, en ce qu’ils ont fait ressortir que l’assuré avait sciemment mis sur le marché une viande hachée sur laquelle il avait délibérément allégé les contrôles sanitaires et ainsi mis en évidence la conscience inéluctable qu’il avait du dommage qui s’ensuivrait, à savoir le retrait du produit. 

Alors que les nombreux arrêts de cassation précités tendaient à s’interroger sur son champ d’application, cet arrêt démontre qu’il existe encore bien un espace pour la faute dolosive de l’assuré

Ce faisant, la Cour de cassation rappelle, d’une part, que l’assureur ne peut pas être tenu pour des faits dans lesquels l’assuré avait connaissance de l’inéluctabilité des conséquences de ses actes délibérés et a sciemment choisi de passer outre, en sapant ainsi l’aléa qui fonde le contrat d’assurance. La qualité de professionnel est à cet égard sans nul doute cruciale.

Cette position d’équilibre permet de moraliser le contrat d’assurance en n’encourageant pas des comportements inéluctables générateurs de dommages.

Cet arrêt rappelle, d’autre part, plus traditionnellement à notre sens, qu’il appartient aux juges du fond de caractériser concrètement la faute dolosive dans les faits de l’espèce. Après les cassations disciplinaires précitées dont la portée a parfois pu être exagérée, cet arrêt démontre en effet que la faute dolosive de l’assuré peut être admise, à condition d’être correctement justifiée dans les faits.

 

Catherine Popineau-Dehaullon

Avocat à la Cour – Associée

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